Une orange plus une orange, et encore une orange.
Y’avait donc un prince, souffrant d’une méchante hypocondrie incurable, et tous les médecins du royaume ainsi que son père, le roi de trèfle, ne savaient plus quoi faire. Même les fêtes et bacchanales les plus élaborées ne pouvaient lui soutirer le moindre sourire. Moi, j’aurais dit qu’il était en dépression chronique—états anxieux inexpliqués, apathie, douleurs psychosomatiques—mais il se trouve qu’il était en plus empoisonné aux vers martéliens. Ben, Zvezdo non plus ne savait dire ce que cela pouvait bien être, mais j’ai tendance, pour une fois, à croire le correcteur orthographique de Google, qui veut transformer «martélien» en «martien», c-à-d ayant un rapport avec Mars, le dieu ou la planète.
Mais revenons à notre histoire. C’est alors que le prince fut guéri accidentellement par la méchante sorcière Fata Morgana qui, en toute mauvaise fée qui se respecte, lui jetta un mauvais sort : il s’amourache de trois oranges.
Hélas, le pauvre chéri, même guéri, n’était pas des princes les plus compétents sur terre. Ni, d’ailleurs, son compagnon de route, Trouffaldino, ni le bon sorcier qui était censé l’aider, ni, heureusement, ses deux rivaux (sa cousine et l’amoureux de ladite, le premier-ministre). C’était alors bien fait que son amour se porta vers trois oranges à la fois, qui, on le devine, contiennent chacune une princesse. Et encore mieux qu’il put les récupérer toutes ensemble, pendant que Trouffaldino attirait l’attention de leur gardienne, l’horrible cuisinière Cruella Créonte, elle-même encore une méchante sorcière aux couteaux aiguisés et à la louche, euh, louche. L’habileté du prince fut insuffisante pour empêcher la mort prématurée et subite des deux jeunes filles merveilleuses qui sortirent premières de leur écorce orangée. Il ne se rendit même pas compte du pourquoi et comment de leur anéantissement, mais il les fit enterrer, ce qui était sympathique de sa part. La troisième, comment pouvait-il en être autrement, fut la bonne, son vrai amour, peu importe qu’elle dût encore faire un petit passage transmogrifiée en rat avant la fin heureuse.
On peut appeler cela un conte absurde ou un spectacle surréaliste ; eux, ils disent «féerie burlesque», et ça porte le titre «L’amour des trois oranges», opéra de Prokofiev d’après une comédie de Gozzi. C’était hier à l’Opéra Bastille, et bien que n’étant pas opéramane, j’ai adoré. Surtout les interludes de danse, les costumes, l’humour. Rien à redire sur l’orchestre, et les chanteurs étaient entre très bons (le roi de trèfle, le prince, Fata Morgana…) et tout à fait adéquats. Petite mention pour le petit rôle de l’esclave-apprentie-sorcière Sméraldina, rôle tellement insignifiant que la jeune chanteuse ne figure même pas sur le programme ; bien que je craigne que son maquillage ne fût pas accepté aux États-Unis, avec l’allusion au blackface raciste des BD du milieu du dernier siècle. Mais bon, ça se tient, car le prince n’est pas non plus très chaud pour l’épouser en lieu et en place de la princesse-orange légitime («Quoi? La princesse est noire?»).
Merci à Kozlika pour avoir organisé cette sortie. Zvezdo a tous les participants, ce qui me facilite la tâche (et un merci pour m’avoir quasiment contrainte de prendre sa place, tout au bout de la rangée, avec vue vertigineuse sur tout l’avant de la scène). Et je ne voulais pas voler l’image de Créonte à chondre, allez donc lire sa critique sur son site.
En revanche, si quelqu’un pouvait m’éclairer la lanterne concernant ces vers martéliens, je lui serais reconnaissante.
Mise à jour après lecture du billet in-cen-di-aire de Kozlika ... que peut-on faire pour atténuer sa douleur de voir les oranges n° 1 et 2 mortes sans que personne ne s’en offusque ? Moi, j’admets que j’en étais un peu consternée, mais il y a beaucoup de consternant dans cet opéra. Du moins, les trois conspirateurs échappent à la mort par pendaison, ce qui n’est que juste, car sans eux, et sans la Fata Morgana, le prince serait toujours malade et célibataire. Même s’ils n’ont pas fait exprès.
Kozlika a une théorie intéressante sur la signification des fameux «vers martéliens». J’y avais pensé, en fait, que vers pourrait être le pluriel de ver ou bien de vers. Mais j’ai abandonné cette piste au moment ou l’odeur caractéristique de ces vers se trouve dans les crachats du prince. Mais il se pourrait que j’ai loupé une métaphore, là. Charles Martel, par contre, est convaincant comme source de l’adjectif.
Pour ce qui en est de notre petite assemblée, en plus des cités, il y avait Gilda, Vroumette et Shaggoo, l’une et l’autre accompagné/e de son homme respectif, MleMaudit, Vrai Parisien, Matoo ; et… je suis sure d’oublier quelqu’un. Bah.
superbes tes trois oranges (bien que honteusement sponsorisées….)
Et plus ressemblantes que celles de la Bastille, qui avaient un peu un peu une tronche de mandarine, non ?
(c’était bien de voir le spectacle à côté de toi et de sentir ton enthousiasme et tes ondes positives….)
Ouin ! et pourquoi mon commentaire a-t-il disparu d’abord ? snif.
Figure-toi qu’en 1989, dans le rôle de Smeraldina, on trouvait une certaine… Beatrice Uria-Monzon, notre Fata Morgana d’hier soir :)
« Notre » Smeralda était interprétée par Lucia Cirillo.
Alors, rendez-vous pour Rigoletto ?
(bon je tente de le remettre ce fichu commentaire…)
@zvezdo : le plaisir était de mon côté (ben, j’en veux pas garder tout pour moi, quand même) ; et j’ai juste omis d’enlever les autocollants, et une fois les oranges balancées près du rebord de la fenêtre, j’avais peur de faire des morts sur le trottoir.
@Kozlika : excuses préventives pour les commentaires. Ça se tient, pour Sméraldina—s’il fallait faire l’illustration de «femme-serpent», ces deux là en étaient des versions très différentes, mais toutes aussi convaincantes l’une que l’autre.
Je ne retiendrais qu’une chose qu’il exsite des blogs pro-bush et d’autre que je nommerais sinostroblog.
Merci dangereuse trilingue pour cette mise en garde
bonnes fêtes de fin d’année
A ta grande question je crois que ce Charles Martel et ses vers est un jeu de mots avec Carlos Goldoni l’ennemi juré de l’auteur Gozzi. Dieu merci, Goldoni a gagné et le théatre a pu se libérer de l’improvisation de la comédia del Arte.