Paris Carnet, la 31ème :: Accueil :: Garfielddgate, protalgate : l'indignation.

2 février 06

Garfieldd : de la liberté d'expression.

Ceci est une réponse à friroy, intendante (d’un établissement scolaire, je présume), qui a laissé un commentaire sur le site Soutenons Garfieldd.

Elle épingle les billets sur « Marcel, le gentil intendant » et s’offusque de notre soutien de l’auteur, tout en ajoutant une mesure généreuse d’insinuations et d’approximations.

Ce que j’ai envie de dire à ce sujet c’est que la liberté d’expression est un bien précieux. Elle est fondamentale. Elle est la cas par défaut dans notre société—ce qu’on oublie trop souvent en la traitant comme la partie congrue, le bout du gâteau qui reste après vérification soigneuse qu’on ne tombe pas sous le coup d’un interdit. Les outils numériques de publication individuelle lui donnent une nouvelle dimension, et comme d’habitude, comme c’était le cas au moment de l’invention de l’imprimerie, de l’alphabétisation de toute la société ou encore des débuts de la radio, le réflexe premier est d’en limiter l’étendue, de l’encadrer de « oui, mais… », de s’en inquiéter.

Car cette liberté inquiète, en effet. On n’a pas besoin d’un diplôme pour en jouir. On n’est pas obligé de justifier du bien-fondé de ses opinions. Et pour moi, nul besoin d’être en accord total avec Garfieldd pour le défendre.

N’y aurait-il rien d’autre à dire sur ses billets sur Marcel ? Mais si, mais dans une dimension radicalement différente de celle des libertés, des transgressions et des sanctions. En tant que blogueuse et lectrice de blogs, je vois se cristalliser des règles qui favorisent que cela se passe bien quand on blogue des éléments de sa vie professionnelle ou des récits qui touchent à la vie privé d’autrui. Pour faire simple: a) même quand on a un blog anonyme, garder à l’esprit que l’anonymat peut sauter et se demander si, le cas échéant, ce qu’on a dit tient la route ; b) pour ce qui est de l’intimité des autres, ne pas bloguer à chaud, laisser passer quelques semaines, changer les noms et des détails des histoires qu’on a vécues.

C’est en se tenant à une ligne de conduite comme cela qu’un ambulancier londonien peut évoquer des sujets bien plus sensibles—car touchant au secret médical—que ceux concernant un collaborateur incompétent. Le blogueur en question ne se prive même pas de râler contre son administration, les nouvelles règles de paie, des dysfonctionnements ; parfois, ses patients le reconnaissent, car on lit son blog aussi dans son secteur. Ses supérieurs sont au courant, et considèrent à juste titre que, grosso modo, il fait la meilleure pub au service londonien des ambulances qu’ils puissent avoir.

Mais retournons sur Garfieldd :

  1. Garfieldd, a-t-il pris moins de précautions ? Je n’en sais rien ! Car il est fort possible que les billets ridiculisant « Marcel » soient fictifs, filtrés, détournés. Mais même si cela n’est pas le cas, tout ce qu’il a fait était de ridiculiser, anonymement, un personnage anonyme. Ce qui est permis, qu’on aime ou pas.
  2. Garfieldd, contrairement à ce que vous suggérez, n’a pas été sanctionné pour ces billets. À moins qu’on ne les considère comme « pornographiques ou obscènes ».
  3. Personne, a fortiori pas le vrai « Marcel » (s’il existe), n’a déposé plainte pour diffamation. Le délai est d’ailleurs dépassé, la période de prescription étant de trois mois. Tant qu’on n’est pas condamné pour diffamation, l’administration devrait scrupuleusement considérer qu’il n’y a pas eu diffamation.
  4. Garfieldd n’a pas demandé d’être une icône. Il y a encore un mois, il était un inconnu. Avant, il était un ‘ti blogueur comme des milliers d’autres. Il s’est d’ailleurs battu bec et ongles, dans un premier temps, qu’on ne fasse pas tout un gâteau de ce qui lui arrivait.
  5. Ce n’est pas parce qu’on est homo qu’on a des droit supérieurs. Que le vrai « Marcel », s’il existe, soit homo ou pas est immatériel. Inversement, ce n’est pas parce qu’on est homo qu’on doit s’imposer l’autocensure quand on parle de sa vie intime, au risque de choquer les âmes sensibles. Et encore inversement, ce n’est pas parce que les homos seraient parfaits, sans tare ni faute, qu’on les (en fait, nous) défend contre les discriminations.

P.S. : Pour un autre exemple de tentative d’intimidation liberticide voir chez Laurent.

 

  1. Dominique :: 3 février, 20:46 :: # ::

    Il y avait quand même une ambiguïté sur le blog à Garfieldd. Il a dit dans les commentaires que Marcel était une personne réelle et il a entretenu l’idée qu’il était vraiment face à cette personne au moment où il écrivait. Pour moi, les aventures de Ran-tan-plan ne tiennent pas vraiment dans la durée, il y a trop de contradictions quand on connaît le fonctionnement des établissements, on sent la fiction ou plutôt la recréation d’un personnage à travers des exemples antérieurs ou même des scènes un peu inventées à partir de ce qui pourrait être fait, et peut-être que le vrai Marcel n’avait fait que le dixième mais se retrouvait chargé de faits appartenant à d’autres Marcel lesquels n’étaient pas forcément intendants. Je pense qu’il y avait une maladresse à la base : orienter le lecteur vers un sens qui aurait son référent dans la réalité immédiate et proche. Une fiction ou semi-fiction assumée comme telle n’est pas dérangeante, mais le mélange des genres est dangereux car il y avait à côté des textes plus personnels, plus documentaires. Ces aventures de Ran-tan-plan ne figurent pas dans les griefs retenus, mais je suis persuadé qu’elles ont dû peser lourd dans la procédure et je me demande si l’« image dégradante » de l’éducation qui est reprochée ne se rattache pas à ce fait non dit.

  2. D. T. :: 4 février, 03:37 :: # ::

    Je suis assez d’accord, bien que trouvant l’attitude de l’administration confuse—et ça, c’est une faute. Ne pas nuire à la réputation de l’institution reviendrait alors de rester dans le registre élogieux ? Je rêve…

    Le mélange des genres, d’un autre point de vue, est l’un des points forts des blogs. Tout comme le balbutiement, inévitable pour la plupart des blogueurs : quand on n’est pas un professionnel de l’écriture, quand on découvre un nouvel espace d’expression, la voix et le style vacillent et on se cherche.

  3. Dominique :: 4 février, 21:18 :: # ::

    Je mélange les styles et les genres moi aussi ; il y a des textes sérieux et d’autres qui ne le sont pas, je joue parfois sur la limite et il m’arrive de troller ou de fabuler. Cette histoire m’a aidé à réfléchir sur mon rapport au blogue. Ma chance, c’est de ne pas avoir écrit de textes en rapport direct avec mon travail et cela vient d’une expérience un peu plus longue d’écriture en public où j’ai laissé des plumes. Je fréquente pas mal de blogues de profs et je pense qu’il y en a un très grand nombre qui peuvent être mis en cause car on voit parfois des choses pas très glorieuses sur la hiérarchie.

    Il faut compter aussi avec l’effet des commentaires des lecteurs qui après avoir lu un Ran-tan-plan en redemandaient et ça on ne peut s’en rendre compte que dans la durée de la lecture ; mais ceux qui arrivent ensuite dans cette histoire peuvent être légitiment choqués par ce qui pourrait s’apparenter à de l’acharnement ou du harcèlement si tout était réel ou non recréé. Le blogue est alors reçu en bloc, sans distance, sans mise en perspective.