Garfielddgate, protalgate, ça continue.
Ces derniers jours, j’ai soufflé un peu, j’ai laissé décanter l’affaire Garfieldd dans ma tête. C’est principalement l’attente, jusqu’à ce que M. de Robien prenne une décision.
Indépendamment de la sanction qui finalement frappera notre proviseur préféré, Dominique (du Petit Champignacien illustré) nous met en garde, ici même et ailleurs : en effet, même réintégré, Garfieldd pourrait se retrouver dans le rôle de la patate chaude de l’ÉducNat, toujours considéré avec suspicion. C’est une raison parmi d’autres de ne pas baisser les bras.
Nous avons maintenant un joli site pour donner un écho à tous les soutiens (blogs, initiatives, politiques, autres…) ; il recensera également toutes les réactions de la presse. Blogueuses, blogueurs, vous pouvez manifester votre soutien, soumettre vos billets, télécharger de magnifiques bannières et logos.
Entre-temps, d’autres n’ont pas chômé et se sont mis à explorer les multiples dimensions de l’affaire.
Kozlika titre C’est toute la procédure contre Garfieldd qu’il faut annuler et Samantdi rebondit là-dessus. En effet, où est la « faute commise par ce fonctionnaire » (c’est le ministre qui le dit) ?
Laurent s’interroge si, après avoir jeté le nom réel de Garfieldd dans l’arène public en parlant d’« images et textes manifestement pornographiques » pour ensuite faire marche arrière, le ministère ne frôle ou dépasse pas les limites de la diffamation.
Plusieurs blogueurs/euses font le lien avec d’autres affaires : le je-m’en-foutisme de l’administration, plus soucieuse de préserver son image que de prendre des mesures efficaces et justes. Le professeur Jean Véronis évoque Outreau et la question de la pornographie, qui a peu intéressé l’ÉducNat quand il fallait. Samantdi (encore elle—si, si, faut lire tout son blog) pense à la légèreté détestable du Ministère de l’éducation nationale quand il dédouane
sa propre hiérarchie de toute responsabilité de l’agression sur la personne de la prof d’arts appliquées Karen Montet-Toutain.
Entre-temps, on peut lire le principal intéressé parler à Midi Libre.
Moi, l’autre jour, je croisais mon amie Nathalie et lui parlais de l’affaire. Il se trouve qu’elle avait lu l’article de Libé, version papier, et en avait tiré la conclusion que le blog de Garfieldd a effectivement dû être assez chaud sur les bords. Et encore, Nathalie, tout hétéro qu’elle soit, n’est pas quelqu’un qui risque de faire l’amalgame entre homo et pédophile, et défendrait le droit d’un proviseur de s’exprimer franchement sur sa vie privée—mais on voit comment la réputation de Garfieldd a dû prendre un coup chez des gens moins ouverts d’esprit et qui n’ont pas lu les archives du feu blog.
Le fait est que les techniques de publication numérique individuelle bouleversent, brouillent, déplacent les limites entre vie privé et vie publique (ou professionnelle). Nous connaissons des détails de la vie quotidienne de gens qui peuvent se trouver à l’autre bout de la planète ; des détails, des pensées livrés plus ou moins crus, mais en tout état de cause sans processus éditorial qui nous en séparerait. En fait, pas de « gens », mais de personnages, de rôles qu’ils endossent pour se balader dans cette dimension virtuelle. (En latin, persōna veut dire « masque », utilisé par les comédiens du théâtre.) Je parie qu’un proviseur qui publierait un dictionnaire des mots du sexe, une proviseure qui écrirait un roman contenant des passages bien érotiques (soient-ils à caractère homosexuel) n’auraient jamais été importunés par leur rectorat. Mais un agent qui montre qu’il a, lui-même, personnellement, des désirs et une vie sentimentale, même s’il parle sous pseudo, avec un maximum de retenue et de délicatesse ? Noooooon, ça va pas, la tête ?!
Je finis sur cette belle citation de Zvezdo de David Madore (via Zvezdo) :
Le respect à la vie personnelle, à mon avis, ça inclut le droit de rendre publique (ou semi-publique) cette vie — droit qui fait pendant à celui de ne pas révéler, au contraire, ce qu’on ne veut pas révéler, et de le garder privé. Autrement dit, je ne considère pas qu’une liberté ait de sens tant qu’on n’a pas le droit de ne pas se cacher pour l’exercer. Cela ne vaut pas de dire aux homosexuels : vous avez le droit d’être homosexuels, mais à condition que vous le cachiez — comme on l’a fait sous Thatcher en Angleterre ou comme on le fait maintenant dans l’armée américaine (don’t ask, don’t tell). D’ailleurs, à la limite, il n’y a pas de différente entre interdire quelque chose et interdire de le faire savoir (puisque, par définition, ce qui reste secret est autorisé vu que personne n’en a connaissance pour l’interdire).
Et il n’est pas le seul à orienter ses réflexions dans cette direction. Juste hier, j’ai écouté une émission de la radio américaine WNYC (télécharger le mp3). L’invité, le professeur de droit Kenji Yoshino, vient de publier un livre intitulé « Covering: The Hidden Assault on Our Civil Rights ». « Covering », c’est l’obligation ne pas de se conformer à la norme (chez nous : hétéro, blanc, sain de corps et d’esprit etc. et, dans certains contextes, mâle), mais de rester discret. On peut être homo, mais s’il vous plaît ne vous affichez pas ; la discrimination raciale est interdite, mais une coiffure rasta ou un accent des banlieues, c’est trop ; on veut bien faire quelque chose pour les handicapés, mais qu’ils arrêtent d’être gênants et revendicatifs ; un SDF qui meurt de froid ? Il n’a qu’à aller dans un refuge, et qu’est-ce qu’il fout dans une ville comme Paris ou les places sont rares ?
Belle synthèse mais Chère Dangereuse Trilingue, rendons à César ce qui lui appartient, ce n’est pas moi qui ai écrit cette belle citation, c’est David Madore que je citais. Amitiés !
http://www.madore.org/~david/weblog/
Oups, les gens disent que la compréhension écrite n’est plus ce qu’elle était—ça doit être ça. J’ai corrigé.
Je tire plusieurs enseignements de cette histoire, mais je voudrais parler juste d’un point : celui du rapport des institutions scolaires avec les nouvelles technologies. On a vu des élèves exclus définitivement de leur établissement parce qu’ils avaient insultés des enseignants sur leurs blogues. Si cela s’était produit par un écrit traditionnel, la sanction aurait été plus légère et elle aurait été réparatrice. Je ne veux pas dire que l’on a le droit de faire n’importe quoi et j’estime qu’il peut être normal de poursuivre en justice pour de tels faits, mais la réponse de l’institution est sans proportion avec d’autres faits similaires. Ensuite, il existe une hystérie au sujet des blogues que l’on traque sur la Toile, mais il existe une règle du pas vu, pas pris : si des élèves veulent insulter des enseignants, ils le font en déguisant les noms (le spammeur le plus bête sait faire ça), donnant des surnoms ou en écrivant par MSN en liste restreinte (pas de traces gouglables). Cela me rappelle les premiers temps de l’Internet en France : un responsable croyait que c’était juste pour des jeux vidéos ou qu’il y avait des nazis partout à tous les coins de page. Bien sûr, il y a un énorme effort en matière d’apprentissage de la Toile, que ce soit chez les élèves et chez les enseignants, mais l’appréciation de ce qui est sur la Toile reste encore assez irrationnelle et on voit des cafouillages sur des notions de base (l’article de Libé étant exemplaire à ce sujet).
Je suis pleinement d’accord, Dominique. L’irrationalité des réactions de l’institution, en particulier scolaire, devant l’inconnu m’inquiète, d’ailleurs.
Pour ce qui est des insultes, les élèves ont traité leurs professeurs de tous les noms depuis la nuit des temps—en privé. Effet exacerbé sans doute par la scolarisation obligatoire. L’apprentissage de la parole publique dans l’espace virtuel devrait prendre le dessus sur l’approche punitive. Hélas, on en est loin.
je nuancerai un peu tout ça …
Tout ça m’interpelle.
Certes, la liberté d’expression reste sacrée, mais un blog est public, les propos qu’on y tient doivent être mesurés, surtout si l’anonymat est insuffisant pour que des personnes dénigrées puissent se sentir visées (c’est le cas chez garfieldd avec michel).
Je sais pas, le sujet est plus complexe qu’il n’y parait, non ?
si ça vous interesse, voire mon post sur mon blog (http://citoyenxolotl.blogspot.com/) tout neuf.
Euh… c’est Marcel, le gentil intendant (on voit ceux qui lisent vraiment), et ce sujet est justement une des raisons pour lesquelles j’ai émis des réserves dans mes billets, mais le problème repose sur les faits reprochés par le ministère et là on ne voit pas l’ombre d’un Rantanplan.