Meme catégorique. Quand elle se fait violer, c'est sa faute à elle.

Sans couteau sous la gorge.

J’ai vu un homme écrire aujourd’hui.

C’était dans un café. Moi, je sirotais, épuisée, un café crème bien mérité quand il sortit un ordinateur portable de sa serviette. D’abord je ne prêtais pas trop attention à ce qu’il faisait ; il était simplement dans ma ligne de vue, et si je m’intéressais à ses agissement, cela aurait été pour savoir si l’établissement proposait du wifi.

Un homme, donc, la cinquantaine, avec une belle casque Sennheiser sur les oreilles, un portable récent d’une grande marque devant lui ; et qu’une partie de mon inconscient observait du coin de l’œil. Internet, pourtant, ne fut pas sa préoccupation. Il ouvrit un traitement de texte, sortit quelques feuilles avec des notes manuscrites, et se mit a rédiger.

Quand mon regard s’arrêta sur lui la prochaine fois, quelques minutes plus tard, il avait déjà rempli une demi-page. Quand je commanda un autre café crème—je commençais à me réveiller—il était au bas de la première page et entamait la deuxième. Des sous-titres en gras avec un ou deux courts paragraphes en-dessous, sans consulter ses notes que je sache1. En en dixième du temps que me prendra la composition du billet que vous êtes en train de lire, il mit au point un rapport entier.

Et moi, j’en fis estomaquée. Parce que de tous mes blocages, celui de l’écriture trébuchante, impossible est l’un des plus gênants.

Il ne date pas d’hier. Quand j’étais étudiante boursière, des journées entières furent avalées par la corvée de la rédaction de mes rapports semestriels pour l’organisme qui me donnait de l’argent. Pareil pour mon mémoire de fin d’études : anxiété, ongles mordus, des heures passées à fixer de mes yeux la page blanche de l’éditeur2 puis, quelques semaines avant la date limite, un évanouissement avec traumatisme crânien qui me valut une extension.

Ce tourment n’est pas généralisé : quand je suis en situation d’examen—vous avez cinq heures pour mettre sur papier un texte à peu près cohérent traitant de Margaret Thatcher, les grèves des années 80 et de la notion de « deserving poor »—je suis moins inhibée. Employée per une société, rédiger une lettre ou un rapport du style vous-me-faites-ça-cet-après-midi ne me pose aucun problème.

C’est l’effet couteau sous la gorge, qui fonctionne d’autant mieux que les mots sur lesquels je planche ne m’impliquent pas personnellement. En revanche, dès que je parle en mon nom, dès que je compose à mon profit à moi, je n’y arrive pas, ou bien avec une lenteur empreinte de douleur à un point que les autres n’ont pas l’air de comprendre, ni même d’apercevoir.

Serait-il ce fléau qui finira par rendre inaccessible l’autonomie professionnelle et intellectuelle tant appelée de mes vœux ?

1 Ou serait-ce «susse» ?

2 Emacs, en l’occurrence.

 

✘✘✘ D. T. · 22 novembre 05

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